A la faveur d'une insomnie nocturne, après une journée radieuse passée à boire le soleil, me rendre compte que j'ai, que nous avons en tant que collectivité mondiale, vécu ces vingt-trois derniers mois, par vagues, sous perfusion. Et que la vraie vie comme le printemps, le feu sous la glace, est prête, se doit!, d'éclore - d'éclore en explosion - et que c'est pour demain.
Me lever, prendre mon carnet pour le noter, ne jamais oublier cet élan; vouloir allumer ma bougie des moments volés, celle qui accompagne mon yoga du matin depuis jeudi dernier, avant le couperet (mais je le savais), une éternité, fleur d'oranger. Découvrir que l'odeur est partie. Saloperie de pandémie. Le feu en perfusion. Par procuration.
Oui il y a du printemps 2018 dans ces quelques jours engourdis par les microbes. La langueur, la tête vide, le soleil omniprésent. Les nouveaux projets, la vie devant soi, pas le choix. De l'inconnu, bien sûr. Mais avec un petit i. Celui-ci ne fait pas vraiment peur, contrairement à celui de ce printemps-là.
Printemps 2018. Printemps 2020. Deux mondes fracassés. Et tous les autres printemps, suspendus entre la glace de la nuit et l'embrasement du jour. Equinoxe. Naviguer dans les entre-deux plutôt que chasser les extrêmes. Vers ce qui vit à nouveau, portant en germe la rage résolue d'un nouveau recommencement, Temps suspendu, glacial, de l'hiver, ses brouillards et ses mystères. Emballement de mars, toujours plus vite, toujours plus fort, puis avril et mai, comme si ça ne devait jamais s'arrêter. Toujours créer, se recréer, pousser, repousser les limites, jusqu'à l'épuisement, jusqu'à l'apothéose. Réinventer, se retrouver, grandie d'une année de plus. D'une vie, ou dix mille, de plus.
Mais pour l'instant, encore un peu, couver. Comme les braises sous la cendre. S'attiser d'un peu de vent du soir ("la bise, ça nettoie"). Rougeoyer dans la nuit. Bonne nuit.